Ordizan autrefois

De l’église au bistrot en passant par la gare…

Sans remonter à l’époque des potiers, force est de constater que les us et coutumes du village se sont profondément transformé depuis le milieu du XXe siècle.

Il y avait autrefois à Ordizan au moins quatre cafés parfois assortis d’une épicerie et deux moulins dont l’un fournissait la boulangerie attenante. Meuniers, épiciers, charrons, forgerons, et quantité de petits métiers aujourd’hui disparus donnaient vie au village. A cela s’ajoutaient une scierie, une gare SNCF et un lavoir. La paroisse d’Ordizan était animée par un curé dont nous parlerons un peu plus loin tant sa personnalité a laissé une forte empreinte parmi les anciens qui l’ont connu. Toujours est-il que les profondes mutations liées à l’évolution du monde du travail, la transformation de nos modes de vie et la course effrénée des progrès technologiques ont progressivement sonné le glas de tout ceci. Loin de nous l’idée d’un parcours nostalgique dans le style “c’était mieux avant”, mais il est intéressant autant qu’émouvant de jeter un regard sur quelques-uns des usages de nos proches aïeux.

Si entre 1845 et 1913 plus de 25000 “Bigorrais” quittèrent leur terre natale pour échapper à la rudesse de leur existence, le développement économique de la Bigorre retint ensuite les Haut-Pyrénéens dans leur département, même si en Haute-Bigorre cela se fit avec un temps de retard sur les grandes régions industrielles. Le village, qui compta jusqu’à 570 habitants en 1836, n’en comptait plus que 252 en 1962. Depuis cette date, la démographie ordizanaise s’est à nouveau étoffée jusqu’à atteindre aujourd’hui près de 600 habitants. Autrefois composée de paysans et d’artisans, la population d’Ordizan est progressivement devenue ouvrière avec le développement du transport ferroviaire et l’essor des industries haut-pyrénéennes. En parallèle, les activités liées au thermalisme, aux sports d’hiver et au tourisme ont contribué à retenir les locaux dans la haute vallée de l’Adour.

La plupart des foyers gardaient toutefois une ou deux vaches, quelques poules, des lapins, et tuaient le cochon (le “noble” !) comme il se doit. Au retour de l’usine, il n’était pas rare d’aller prêter la main au paysan d’à côté pour les taches traditionnelles liées aux champs. La corvée de bois était une activité incontournable. La récolte des pommes à cidre, que l’on amenait à la broyeuse installée au village, complétait celle des châtaignes. Chacun avait son lopin de terre plus ou moins important ; les ouvriers-paysans formaient de fait une véritable catégorie socioprofessionnelle. A Ordizan, les maisons, bâties avec les galets et le sable tirés de l’Adour, couvertes avec l’ardoise de Labassère, se blottissaient autour de l’église et le long de l’Alaric ; peu de constructions escaladaient les quartiers des Artigaux et de la Vigne.

Le ralentissement de la croissance dû aux chocs pétroliers successifs des années soixante-dix a rebattu les cartes. Le nombre d’ouvriers-paysans a diminué, laissant la place aujourd’hui à une population travaillant majoritairement dans le secteur tertiaire.    

Nous avons choisi de mettre en lumière trois personnages centraux de la vie du village principalement dans les trente glorieuses, au travers d’activités représentatives de l’époque et dont la fonction, économique ou sociale ou parfois les deux selon le cas était incontournable : un commerce, un sacerdoce et une activité de transport. Toutes ces activités ont aujourd’hui disparu du village lui-même, rendues obsolètes par l’évolution de nos modes de vie et de nos mentalités. Reste le charme du suranné.

    • Un café et l’addition s’il vous plaît !

Le dernier café d’Ordizan à résister contre vents et marées faisait également restaurant. Il a fermé vers le milieu des années quatre-vingts. Longtemps tenu par Denise Tarissan, il était ouvert sept jours sur sept et les derniers clients ne quittaient pas l’établissement avant deux ou trois heures du matin les jeudi, vendredi, samedi et dimanche. Madame Tarissan se souvient encore de l’ambiance qui régnait ces soirs-là, animée par des chansons, rythmée par les parties de belote ou de manille (elle faisait parfois le quatrième quand il manquait un joueur). “Certains jouaient pour payer la tournée, mais c’étaient toujours les mêmes qui gagnaient”, témoigne-t-elle. Et forcement, toujours les mêmes qui perdaient !

Des disputes émaillaient parfois les soirées : on ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs. L’omelette, justement, était souvent proposée au menu du jour, ainsi que de la charcuterie locale. Madame Tarissan, qui allait s’approvisionner en Solex avant de faire l’acquisition d’une petite Renault, excellait dans la confection des sauces, notamment aux champignons, ce qui lui valut le surnom de “Madame sauce”. Le service se faisait au plat et attirait des salariés de chez Soulé ainsi que des artisans et ouvriers qui avaient leurs chantiers dans les alentours. C’était plein tous les midis, se souvient la maîtresse des lieux, avec une vingtaine de couverts. Le soir, l’activité de restauration était moindre. Au printemps, nombre de communions y organisaient le repas de famille.

    • Quand le gardien des âmes soignait aussi les corps !

Les cafés participaient donc largement à l’animation, à la vie sociale du village et aux échanges commerciaux. Cernée par les quatre établissements, l’église n’en était pas moins le pivot de la vie spirituelle. En 1949 fut nommé curé d’Ordizan l’Abbé Etienne Lavigne. Originaire de Bénac, il officia jusqu’à sa mort le jour de Noël 1962. Forte personnalité, l’Abbé Lavigne avait la particularité d’être également guérisseur et rebouteux ; il avait acquis une certaine notoriété dans ces deux fonctions, même si sa technique de radiesthésie ne donnait pas toujours les résultats escomptés. Ne maîtrise pas les ondes qui veut.

A cette époque, le curé disait la messe tous les jours et deux enfants de chœur se succédaient pour servir. Un jour, l’un des deux se fit une entorse et sa mère fit savoir au curé qu’il ne pourrait remplir sa fonction. L’Abbé Lavigne, jamais à court de ressources, se présenta chez l’enfant. Sa mère le lui passa par la fenêtre, le curé le chargea sur son dos, l’amena au presbytère et fit parler son savoir-faire de rebouteux, à tel point que le jeune garçon put servir la messe et rentrer chez lui sur ses deux pieds.

Il se dit aussi que l’Abbé Lavigne avait le pouvoir de n’être point sensible au courant électrique. Il n’en faisait pas moins des étincelles ! homme d’avant-garde, il utilisait le produit de son art pour louer des films qu’il projetait bien avant que la télévision ne fit son apparition à Ordizan, achetait des machines dont il ne maîtrisait pas toujours le fonctionnement et rendait de multiples services à la communauté.

Et que faisait-on à la sortie de la messe du dimanche ? On allait boire l’apéritif au café, séparé de l’église de quelques dizaines de mètres. Après tout, il fallait bien soutenir l’activité des commerces locaux en même temps que se rincer un gosier asséché par le chant des cantiques !

    • Un train comme on n’en fait plus !

On a du mal aujourd’hui à imaginer l’activité trépidante que pouvait générer le passage du train à Ordizan, emprunté par les travailleurs, les écoliers, les ménagères et tant d’autres. Située sur la ligne de chemin de fer entre Morcenx et Bagnères, le village bénéficiait d’une gare dont subsistent le quai et le bâtiment aujourd’hui reconverti en maison d’habitation. Un passage à niveau situé en amont du quai complétait l’installation. L’unique voie, à l’abandon, reste coincée entre la départementale et la route de Trébons. Mangé par les broussailles, le quai reste néanmoins visible entre le CD8 et le bâtiment de l’ancienne gare. Deux poteaux soutenant autrefois les lampadaires qui l’éclairaient sans doute chichement résistent au temps : la coque d’une lampe orne encore crânement l’un d’eux, sans guère d’espoir de revivre un jour, sauf nécessité logistique de l’industrie ferroviaire bagnéraise. De rares panneaux de signalisation destinés aux conducteurs des locomotives subsistent le long de la voie : ils ne servent plus que de points d’appui à quelques volatiles en mal de perchoir. Souvent, un troupeau de brebis campe de l’autre côté de la route de Trébons, accompagnée d’agneaux joyeux et sautillants, indifférents à cette modeste page de l’histoire du village.              

La section entre Tarbes et Bagnères a fonctionné de 1862 à 1971 pour les voyageurs et jusqu’en 1989 pour les marchandises. L’exploitation en fut confiée d’abord à la Compagnie des Chemins de Fer du Midi ; elle rentra de plain-pied dans le modernisme avec son électrification en 1914 et transporta des générations d’ouvriers vers l’emblématique Arsenal de Tarbes et les autres usines tarbaises et bagnéraises.

Un deuxième passage à niveau, identifié par le numéro 113, était situé à trois cents mètres de la gare. Un panneau indiquant PN 113 figure toujours sur la façade de la maisonnette. Il régulait la circulation automobile entre Trébons et Ordizan ; cet accès est condamné depuis la mise en place de la déviation. Germaine BERGANTIN, dont la mère Honorine BAJON fut la dernière garde-barrière affectée à ce passage à niveau, fut un témoin privilégié de cette activité. Honorine logeait avec ses quatre enfants dans la maisonnette attenante au passage à niveau, prête à sortir quelques minutes avant le passage des trains pour pousser les barrières montées sur roues.

Plusieurs trains circulaient chaque jour dans les deux sens entre Tarbes et Bagnères selon une organisation d’autant plus stricte qu’il n’y avait qu’une seule voie. Le premier train passait à Ordizan à 6h00 le matin : il était destiné aux travailleurs qui se rendaient à Tarbes. Un autre, en provenance de Tarbes, s’arrêtait à 7h30 et transportait les collégiens et lycéens jusqu’aux établissements scolaires bagnérais. Puis il y avait les trains de 13h, de 15h, de 17h, de 18h30 et de 19h, circulant dans un sens ou dans l’autre selon l’heure, se souvient Germaine BERGANTIN. Sur le quai de la gare, se retrouvaient non seulement les habitants d’Ordizan mais aussi ceux de Trébons. Le jeudi était un jour particulier : il ne fallait pas rater le train de 9h qui transportait les villageois à Tarbes pour le marché. A cela il fallait bien sûr ajouter quelques trains de marchandises.

Honorine BAJON prit ses fonctions de garde-barrière en 1933 à l’âge de 23 ans. Elle tint ce poste pendant 27 ans, jusqu’à l’automatisation du passage à niveau. Avant-guerre, il y avait peu de circulation. Sa tâche demandait toutefois une rigueur et une fermeté non dénuée d’une certaine diplomatie, la fermeture du passage à niveau alors que se présentait un véhicule pouvant parfois agacer certains usagers de la route…

Ainsi était la vie à Ordizan en ces temps que la plupart de nos contemporains n’ont pas connus. De l’église au café, de la gare à l’épicerie, au forgeron ou au boulanger, le village connut une certaine effervescence. Bien d’autres choses mériteraient d’être racontées ici ; cette chronique n’est qu’un début et ne demande qu’à être enrichie.