Une des premières choses qui frappent lorsque l’on pénètre dans le cœur d’Ordizan, c’est la présence de l’eau. Pas seulement l’Adour, que l’on traverse en venant de Trébons ; fleuve tantôt débonnaire, tantôt roulant des flots furieux lorsque les intempéries ou la fonte des neiges grossit son cours, l’Adour longe le village par l’ouest avant de s’enfuir inlassablement vers la plaine de Tarbes. Quant à l’Arrêt-Darré, beaucoup plus discret, il délimite la commune à l’est, alimenté par divers petits cours d’eau qui trouvent leur source dans un rayon de quelques kilomètres.
Ce réseau hydrographique est complété par l’Alaric. Plus présent que l’Adour quoique d’un débit bien plus modeste, le canal d’Alaric transperce le village du sud au nord comme une flèche argentée. Indispensable aux activités humaines depuis son implantation qui remonterait à 1500 ans, il est une sorte de fil d’Ariane pour les promeneurs comme pour les riverains.
Que serait la vie sans eau ? Ici comme ailleurs, elle ne serait pas. Si l’on ajoute aux rivières des précipitations relativement abondantes en Haute-Bigorre, notamment au printemps, on comprend qu’Ordizan est un village d’eaux dont la montagne et le ciel se disputent la paternité.
Le relief est ici très présent ; entre Adour et Alaric, le village suit une pente douce orientée sud-nord, un faux-plat que les cyclistes venant de Tarbes n’ont aucun mal à passer avant le rond-point qui verrouille la commune en amont. Mais il suffit de faire quelques dizaines de mètres vers l’est et le sud-est pour que cela se gâte : vers le quartier des Artigaux d’une part, et vers le quartier de la Vigne d’autre part, lesquels communiquent d’ailleurs par le chemin du Cap de la Serre. Ici, les pourcentages deviennent sévères et l’on franchit allègrement les 100 mètres de dénivelé, jusqu’à atteindre une vue imprenable sur les Pyrénées dominées par la cime tutélaire du Pic du Midi de Bigorre.
Voici, tracés à grands traits, les caractéristiques physiques d’Ordizan, village au caractère bien trempé (surtout au printemps, convenons-en !) de par son relief, son hydrographie, son aspect austère ou qui du moins peut apparaître tel au visiteur avec le gris des galets souvent masqués avec du crépi, les tons foncés de l’ardoise et le sévère encadrement de marbre qui orne les maisons les plus anciennes et autrefois les plus cossues.
La meilleure solution pour découvrir le village est sans doute de laisser la voiture sur la petite place reliant l’église à la mairie et de déambuler à pied ou à vélo dans les rues et sur les coteaux qui le dominent. Vous ne manquerez pas de remarquer le blason de la commune apposé sur l’un des murs de la mairie : une aiguille de tisserand rouge sur fond jaune voisine avec une poterie jaune sur fond rouge : Ordizan est un ancien village de tisserands et de potiers.
Autrefois, et ce dès le XVe siècle, quelques ateliers spécialisés dans la fabrique d’ourdis (mélange de fil, de lin et d’étoupe) trouvaient leur débouché chez les tisseurs de Bagnères. Il est probable que beaucoup de fermes cultivaient une parcelle de lin, semée en septembre, récoltée en mai. Les différentes opérations qui rendaient la fibre propre à être travaillée (arrachage, séchage, battage, rouissage, teillage, peignage, repassage) exigeaient du temps, de la patience et un savoir-faire spécifique.
Quant à la tradition potière ordizanaise, elle a connu son essor entre le XVIIe siècle et la fin du XIXe. L’argile ocre servant à cette petite industrie était récoltée au lieu-dit Goutaulère. Si l’envie vous prend d’un bain d’argile aux multiples bienfaits reconnus depuis l’antiquité, il vous suffit de monter jusqu’en haut du chemin des Artigaux, puis de bifurquer à gauche en direction d’Orignac par le chemin des Barthes (attention : rien n’en indique la direction !), et pour peu qu’il ait plu dans les jours précédents, vous pourrez vous embourber à loisir un peu plus bas. Bien entendu, les escarpins et autres souliers en cuir pleine fleur sont proscrits ! On ne s’étonnera donc pas que le sobriquet attribué aux ordizanais soit “eths olassèrs”, autrement dit les potiers (du gascon “ola” : marmite). Au village, vous pouvez pousser la curiosité en prenant l’impasse qui part à droite de la rue des Pyrénées au moment où celle-ci rejoint la place de l’église : au fond se trouve une vieille grange abandonnée dont le pignon, orienté à l’ouest, courtisé par les ronces, comporte de nombreux tessons de poterie incorporés dans le bâti. A la grandeur relative et à la décadence de la tradition potière s’opposent le sens pratique des ordizanais !
Jouxtant la mairie par le sud, l’église Saint-Georges, édifiée en 1868, constitue, sinon le centre spirituel de la commune du moins un point de repère visible des quatre points cardinaux du village. Vous remarquerez l’orientation atypique de l’église, le chœur vers l’ouest et l’entrée de la nef vers l’est, contrairement à la plupart des édifices de ce type. Certes, la messe n’attire plus les foules d’antan, comme par exemple lorsque le Général de Gaulle, de passage chez un notable en 1947, assista à l’une d’entre elles…
Partez maintenant le long de l’Alaric en direction du sud. A l’angle de la rue du moulin et de la rue de l’Alaric s’élève un splendide pigeonnier dont la structure supérieure, en forme d’heptagone, est surmontée d’un clocheton en briquettes. La bâtisse est dotée d’un escalier intérieur circulaire permettant d’accéder à la partie haute. Les pigeons disposaient donc de sept chambres au plancher couvert de carreaux en terre cuite. Perché au dessus de l’Alaric tel une sentinelle élégante et gracile, ce pigeonnier édifié en 1900 constitue le modeste fleuron architectural de la commune.
Deux moulins à eau, vestiges des activités meunières d’Ordizan, surplombent le canal. L’un est établi route d’Antist ; une boulangerie le jouxtait autrefois un peu en retrait. L’autre se trouve au début de la rue de l’Alaric en partant du pont auquel aboutit la rue du centre (le meunier habitait en face). Le canal y enfourne ses eaux vives pour en ressortir avec force remous en aval. Aujourd’hui silencieux et abandonnés, ces deux moulins n’en sont pas moins riches d’un passé émouvant. Imaginez les vannes régulant la force de l’eau, le mouvement de la roue transmettant l’énergie nécessaire au travail des meules, et en bout de chaîne la farine rendue par les grains de blé écrasés…
Un peu plus haut, passé l’embranchement de la rue des Pyrénées, le promeneur averti pourra observer sur le flanc droit de l’Alaric les contreforts restants d’un lavoir hélas disparu, autre témoignage d’une époque révolue nécessitant un peu d’imagination. A quelques mètres en amont se dressait une scierie qui avait la particularité, jusqu’en 1949, de fournir son surplus d’électricité au village grâce aux turbines nécessaires à son exploitation. Il se dit que les bénéficiaires n’en étaient pas moins privés d’électricité deux fois par an pendant une semaine lorsque le canal était vidé pour son entretien. Il fallait alors ressortir lampes à pétrole et bougies ! Indifférent à ces vicissitudes d’un autre temps, l’Alaric continue sa course, imperturbable. De-ci de-là, quelques passerelles l’enjambent, permettant aux riverains d’accéder chez eux. On a beau dire, c’est plus pratique que les cuissardes.
Si trois ponts permettent de passer le canal au cœur du village, Ordizan en compte six au total sur l’Alaric. Le quatrième se trouve sur le CD8, près du rond-point ; à quelques mètres à l’ouest se trouve le cinquième, enjambant la voie de chemin de fer. Enfin, le sixième franchit le canal au nord de la déviation entre Trébons et le rond-point, à quelques dizaines de mètres de ce dernier. A cet endroit, l’Alaric s’enfonce dans les pâturages après s’être écarté du village, accompagné par la haie d’honneur d’une végétation fournie principalement constituée de saligue et conduit le promeneur jusqu’aux terres pouzacaises où il capte une partie des eaux de l’Adour.
Près de l’emplacement de l’ancien lavoir, une prise d’eau quasiment invisible à moins de se pencher sert de point de départ à un petit canal secondaire qui s’engouffre sous la rue de l’Alaric, longe la rue des Pyrénées et la place de l’église puis tourne à gauche selon un angle de 90 degrés, emprunte la rue du centre et rejoint l’Alaric au bout de celle-ci. Auparavant, il libère discrètement un petit bras aujourd’hui abandonné, qui se dirige vers la rue du moulin pour se jeter dans l’Alaric encore plus en aval. Place de l’église, vous ne manquerez pas d’observer, séparées de quelques mètres, deux dalles de schiste ardoisier plongeant en oblique dans le courant. Leur fonction tombe sous le sens : elles servaient à la lessive.
Ce réseau d’irrigation savamment construit était donc autrefois nécessaire à la vie du village et à l’irrigation. Il faisait l’objet d’une redevance pour les riverains. Là encore, des passerelles plus ou moins larges, souvent des plaques de schiste, en permettent le franchissement pour accéder aux maisons ou aux impasses. Au droit de la route d’Antist, face au pigeonnier, une autre dérivation part dans les champs vers l’ouest, cette fois depuis la rive gauche de l’Alaric.
Jadis, le village comptait deux épiceries et plusieurs cafés. Il ne reste plus aujourd’hui que l’enseigne de l’un de ces derniers et quelques portes murées qui témoignent de cette ancienne activité dont la vocation tenait un rôle tant social que marchand. On a bien du mal à imaginer tout cela dans ce XXIe siècle où les grands centres commerciaux règnent en maîtres en périphérie des agglomérations : seule la mémoire des anciens peut encore en témoigner.
Enseigne café
Ordizan ne serait pas Ordizan sans les coteaux des Artigaux et de la Vigne. En laissant l’église à main gauche, il suffit de prendre la rue du centre à droite, puis de filer tout droit vers les Artigaux dont la route sinueuse s’élève ensuite jusqu’au Cap de la Serre. Ici, les murs en galets de granite extraits du lit de l’Adour font place à un bâti plus contemporain, si ce n’est quelques anciennes fermes isolées au milieu des prés en pente. L’ardoise demeure, incontournable, autrefois extraite des carrières de Labassère, de nos jours majoritairement acheminés d’Espagne. Petit à petit, les Pyrénées envahissent l’horizon, blanches l’hiver, bleues l’été, avec des tonalités changeantes selon l’humeur du temps. Au sud-est se profile la ligne de crête d’Orignac et son clocher caractéristique dont on distingue le généreux encorbellement. A l’ouest se dresse l’altière église de Montgaillard, édifiée sur une ancienne motte féodale. Plus au sud, un œil exercé ne manquera pas de distinguer la silhouette massive de la collégiale d’Ibos régnant sur la plaine de Tarbes comme un vaisseau amiral. Ces points de vue éclectiques où se rejoignent patrimoine, histoire et nature constituent une véritable richesse.
Enfin, la montagne, que l’on percevait déjà au fil des virages dans la montée des Artigaux, impose ses vallonnements et ses crêtes, depuis l’est des Pyrénées-Atlantiques jusqu’à la Haute-Garonne. Le Pic du Midi de Bigorre, le Montaigu, l’Arbizon, le massif du Gabizos (souvent le premier à se couvrir entièrement de neige du fait de son exposition) accrochent le regard et offrent au promeneur un paysage somptueux sublimé par les prairies qui dodelinent à l’envi au premier plan. Entre pâturages et sommets, un piémont boisé aux courbes alanguies souligne la minéralité des Pyrénées. On prête à Napoléon, à la veille de la bataille des Pyramides le 21 juillet 1798, d’avoir conclu sa harangue par ce mot célèbre : “Du haut de ces pyramides, quarante siècles vous contemplent”. On peut dire ici que du haut de nos montagnes, quarante millions d’années forcent notre admiration !
Sur les hauteurs d’Ordizan, au matériau alluvionnaire de la vallée de l’Adour succède une colline de schistes datant du crétacé supérieur. Le gneiss (une roche métamorphique le plus souvent obtenue par altération du granite, et donc d’une composition analogue : quartz, mica et feldspaths) est très présent : il est facile d’en observer les affleurements un peu plus loin sur la piste qui mène au golf de la Bigorre. Vous croiserez sans doute quelques chevaux dans les pâtures qui bordent le Cap de la Serre ; en automne, souvent l’oreille est sollicitée par le cri grinçant des grues cendrées étirant leur vol en longues formations glissant vers un climat plus propice ; dans un sous-bois, un cèpe peut-être vous fera de l’œil ; quelquefois, une palombe fuira elle aussi vers le sud. Souvent, le vol solennel d’un milan viendra ravir le regard. L’extrémité sud du Cap de la Serre débouche sur le quartier de la Vigne.
A gauche, la route amène à une bifurcation où vous choisirez soit de descendre franchement en direction de l’Arrêt-Darré par le chemin de Martimèse ou l’impasse des chevreuils, soit de grimper tout droit un sentier caillouteux, le chemin du Loudet, qui rapidement prend la direction du sud. La seconde option est la plus intéressante car elle vous amènera à l’extrémité ouest du golf de la Bigorre, là où les montagnes affirment plus encore leur présence. Au loin vous reconnaîtrez les clochers de Pouzac et de Trébons pointant leurs flèches élancées depuis la vallée de l’Adour.
A droite, on redescend vers le village par le chemin de la vigne. Jadis, ce coteau exposé au sud était propice à la culture de quelques rangées de ceps destinés à produire un vin de consommation domestique. Abrupte, la pente enchaîne lignes droites et virages serrés pendant 1 kilomètre. Depuis le premier tournant à gauche, vous pouvez suivre la route en contournant la châtaigneraie (les terrains siliceux se prêtent à merveille à l’épanouissement de cet arbre emblématique de la région). Mais vous pouvez aussi choisir de tirer tout droit le long du bois pour rejoindre le chemin de la vigne presque en bas. C’est sans doute depuis cette pente raide et herbue dominée par une statue du Christ datant de 1936 que la vue sur le village est la plus attachante : on distingue les toits d’ardoise serrés autour de l’église et au-delà, le galbe boisé de la vallée de l’Adour dont le versant ouest barre l’horizon. L’église de Trébons réapparaît vers la gauche, surtout visible l’hiver lorsque la végétation est clairsemée. Vers la droite, vous retrouvez celle de Montgaillard s’élançant vers le ciel, silhouette hiératique dominant son village. Parfois, le ruban scintillant de l’Adour surgit d’entre la végétation, déferlant puissamment, résonnant jusqu’à vos oreilles.
Vous voilà de retour sur la place de l’église ; il n’est plus que d’imaginer une halte salvatrice dans l’un des cafés qui jadis animaient le village. A défaut, vous pourrez toujours tirer un peu d’eau de l’Alaric pour vous rafraîchir le visage !
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