Le canal de l’Alaric

Une artère vitale pendant des siècles

 

    Il capte les eaux de l’Adour quelques kilomètres en amont du village, à Pouzac (au «seuil d’Alaric”), pour retrouver son fleuve nourricier près de 74 kilomètres plus loin, à Izotges, petite commune du Gers située au sud-est de Nogaro. L’hypothèse généralement admise quant à l’origine de ce canal relève d’un épisode historique vieux d’un millénaire et demi. Les Wisigoths, peuple germanique tantôt qualifié de “barbare”, tantôt paré du prestige que l’on réserve habituellement aux mythes, s’étaient à l’époque sédentarisés dans le sud-ouest de la Gaule, et une partie de leur armée stationnait dans la plaine de Rabastens. On peut imaginer que le canal, a priori bâti entre 484 et 507 sous le règne du réputé paisible Alaric II, constituait un axe vital pour les cultures et l’approvisionnement des troupes et du peuple en général. On notera qu’Alaric II fonda un royaume conséquent allant du sud de l’Espagne au sud de la Loire avec Toulouse (Tolosa) pour capitale (la montagne d’Alaric, sise dans les Corbières, porte également le nom du souverain).

    Certes, les esprits cartésiens soutiendront que le toponyme “Alaric” est plus probablement issu du gascon “arrec“, torrent, et “riou” ou “arriou”, ruisseau. Cette version a beau être appuyée par le fait que les premières évocations du canal de l’Alaric sont postérieures de plusieurs siècles au roi des Wisigoths, elle est évidemment beaucoup moins romanesque.

    Si l’hypothèse de la construction du canal par le roi des Wisigoths est la bonne, l’ouvrage devrait donc s’appeler canal d’Alaric. Cependant, considérant qu’il est appelé communément canal de l’Alaric depuis belle lurette ou même plus familièrement l’Alaric, ce sont ces deux dénominations que nous utiliserons.

    Notons que “l’Alaric n’est pas un cours d’eau homogène” (cf. Marguerite Castel, passion-bigorrehp.org/canal-Alaric) : il alterne au contraire tronçons naturels et tronçons artificiels. La première partie de l’Alaric serait d’ailleurs “une survivance de l’ancien lit de l’Adour“, et ceci jusqu’au confluent avec le ruisseau du Houas. Sans doute peut-on y voir une parcelle du génie, ou à tout le moins du bon sens des hommes que d’utiliser l’existant pour y greffer un canal, dont la fonction première était de disposer de ressources en eau sans s’exposer aux crues de l’Adour.

    Plus près de nous, de nombreux moulins se succédèrent le long de son cours ; au début du XIXe siècle on en dénombra plus de 90 le long des 74 kilomètres du canal. Ils sont aujourd’hui tombés en désuétude mais à Ordizan subsiste néanmoins le bâti de deux d’entre eux : on peut observer les eaux de l’Alaric s’engouffrer sous les massives constructions pour ressortir en bouillonnant de l’autre côté. Au XVIIIe siècle, un litige opposa meuniers et propriétaires des prés voisins. Ces derniers détournaient l’eau du canal à des fins d’irrigation, ne laissant aux meuniers qu’un débit insuffisant au fonctionnement de leurs meules. Si une ordonnance de 1789 donna la priorité aux moulins, ceux-ci périclitèrent au fil du temps et l’irrigation devint la destination principale du canal (Cf. Marguerite Castel, passion-bigorrehp.org/canal-Alaric).

    L’édification d’habitations le long du canal a également nécessité l’installation de nombreuses passerelles pour accéder à la route.  Depuis, nombre de villages se sont développés de part et d’autre du canal, Ordizan étant le premier d’entre eux. En effet, bien que la naissance du canal se situe sur la commune de Pouzac, le cours d’eau ne traverse pas ce village proprement dit. Opportuniste, l’Alaric emprunte parfois le lit d’autres rivières comme l’Estéous et donne vie à de nombreux petits canaux secondaires qui irriguent nombre de communes riveraines.

    La route d’Antist longe l’Alaric jusqu’au village auquel elle conduit. A la sortie d’Ordizan, deux poutres en béton disposées en travers relient les deux rives en surplombant le canal. Elles sont distantes de quelques dizaines de mètres. Il semblerait que ces constructions servaient autrefois pour l’irrigation en dérivant une partie de l’eau du canal vers les champs. Pour cela, les paysans plongeaient dans l’eau des plaques de schistes ardoisiers qui, appuyées contre la poutre côté amont, servaient partiellement de barrage.

     Après la sortie d’Ordizan, l’Alaric continue sa course avec vivacité, le plus souvent bordé par la saligue, cette végétation hydrophile qui longe habituellement les cours d’eau, constituée d’arbustes et arbrisseaux parmi lesquels l’osier, ces jeunes pousses de saule qui servent à la confection des paniers. A ce sujet, il est intéressant de noter que le terme saligue puise son étymologie dans le latin salix – le saule. La saligue constitue un véritable biotope propre aux zones humides riveraines.

    Le débit maximal de l’Alaric est de 6000 litres par seconde au captage. Aujourd’hui, il a pour fonctions principales l’irrigation des cultures en aval d’Ordizan, mais aussi le délestage et la régulation des eaux de l’Adour. Quoi qu’il en soit, même si son cours n’est plus aussi vital qu’autrefois pour les Ordizanais, ceux-ci y restent très attachés. Il est aussi prisé par les pêcheurs, que l’on voit longer son cours dès la mi-mars, attentifs au moindre soubresaut de leur canne.